Réunie en plénière le lundi 30 juin 2025, la Haute Autorité de la Communication (HAC) a décidé d’interdire l’accès des Web TV, Web radios et autres médias non autorisés aux manifestations publiques et événements officiels. Une mesure critiquée dans le secteur, notamment par le journaliste Facely Konaté
S’attaquer aux médias numériques, c’est aller en guerre contre le futur des médias
La décision de la Haute Autorité de la Communication (HAC) interdisant aux Web TV, Web radios et autres médias non « autorisés » de couvrir les manifestations publiques et événements officiels est un nouveau coup porté à la liberté de la presse. Elle met en lumière une vision dépassée, incapable de suivre les mutations profondes du paysage médiatique. Au lieu d’accompagner et d’encadrer l’innovation, la HAC choisit de la freiner.
L’écosystème médiatique mondial connaît une transformation profonde, portée par l’essor du numérique. Partout dans le monde, l’information se consomme de moins en moins via les médias traditionnels, au profit des réseaux sociaux et des formats numériques. Le Digital News Report 2025 de Reuters Institute et de l’Université d’Oxford le démontre clairement : 44 % des 18-24 ans s’informent principalement via les réseaux sociaux, et la consommation de vidéos sociales est passée de 52 % en 2020 à 65 % en 2025. Aux États-Unis, pour la première fois, les réseaux sociaux ont même détrôné la télévision comme principale source d’information.
C’est dire à quel point le numérique redéfinit les habitudes et les circuits d’accès à l’information.
Face à cette transformation, la HAC adopte une posture rétrograde. Si les Web médias ne sont pas explicitement reconnus par la loi, leur place dans l’écosystème est indéniable. Les textes actuels, devenus obsolètes, ne reflètent ni les évolutions technologiques ni les usages réels des citoyens. Même les médias en ligne, pourtant reconnus juridiquement, souffrent d’un vide réglementaire : aucune disposition ne précise, par exemple, les mécanismes de création d’un site d’information ou d’un blog. Ce retard législatif freine l’innovation et la diversité des voix dans l’espace public.
Dans ce contexte, ce n’est pas aux acteurs des Web médias de s’adapter au retard du régulateur, c’est à la HAC de rattraper son retard sur l’évolution du secteur.
Plutôt que d’imposer des interdictions, elle doit engager une réforme ambitieuse des textes encadrant le secteur de l’information et de la communication, pour y intégrer pleinement les réalités du numérique. Cela suppose une reconnaissance claire des nouveaux acteurs de l’information, tout en garantissant leur indépendance, leur responsabilité et leur professionnalisme.
Le numérique n’est pas une menace : c’est le présent. L’ignorer, c’est condamner la Guinée à rester sourde aux voix de demain.
D’autres pays ont compris qu’il ne s’agit plus d’un conflit entre médias traditionnels et médias numériques, mais d’un réaménagement nécessaire du cadre légal. En Côte d’Ivoire, les Web radios et Web TV sont encadrées. Mieux encore, dès qu’un influenceur ou un blogueur atteint 25 000 abonnés, il est soumis à un cadre juridique proche de celui des médias audiovisuels traditionnels. C’est une manière de les reconnaître, de les encadrer, sans les exclure ni les museler.
En #Guinée, la tendance est malheureusement inverse : fermetures de médias indépendants, pression croissante sur les journalistes, autocensure généralisée… Cette stratégie de bâillonnement contribue à plonger le pays dans une opacité informationnelle dangereuse pour la démocratie. Et paradoxalement, en tentant de réduire au silence les médias, la HAC renforce la montée en puissance des pseudo-informateurs et influenceurs non encadrés. Quand les citoyens n’ont plus accès à des sources fiables, ils se tournent vers les figures les plus visibles – avec tous les risques de désinformation que cela comporte.
Il faut aussi être clair : la mission de la HAC n’est pas de restreindre, mais de protéger la liberté d’expression, d’organiser le paysage médiatique et d’accompagner son évolution. En s’enfermant dans une logique de fermeture, de répression et d’exclusion, elle trahit cette mission. Et elle porte une lourde responsabilité dans l’affaiblissement progressif de la démocratie guinéenne. »
Facely Konaté, Journaliste